Etat actuel
des plantes médicinales
au Sénégal :
conservation,
gestion et réhabilitation
Dr Fatimata SY
ENDA SANTE
DAKAR 1997
1.
SITUATION
GENERALE
Au Sénégal on retrouve des écosystèmes
arides et semi-arides, des écosystèmes fluviaux, marins, côtiers ainsi que des
ressources végétales, hydrologiques et en sols. Cependant, la péjoration
climatique actuelle marquée par une baisse de la pluviométrie et le
raccourcissement de la saison des pluies a eu des incidences notoires sur
l’état de la biodiversité. Parmi les causes de la perte de la biodiversité, on
peut citer la sécheresse, les aménagements hydro-agricoles mal maîtrisées,
l’érosion éolienne et hydrique, la salinisation des terres, les feux de
brousse, et j’en passe.
Ceci a conduit nombre de pays à mettre
en place une politique nationale de reboisement. Des espèces à croissance rapide
ont été plantées, mais les résultats n’ont pas répondu aux besoins réels des
populations en matière de nutrition et de santé. En effet, dans un contexte de
pauvreté de plus en plus confirmée, une majeure partie de la population
africaine fait recours à la médecine traditionnelle et à la pharmacopée.
Pour mieux apprécier l’impact des plates
médicinales dans les recours thérapeutiques des ménages sénégalais, une série
d’études a été menée par ENDA entre 1988 et 1995. Les résultats de ces études
ont montré l’utilisation effective de ces plantes chez certains ménages, et le
souhait de les pratiquer au sein des autres. En effet :
–
selon
l’enquête de 1988 portant sur 502 ménages de la région de Dakar, 55% de
l’échantillon déclarait utiliser des remèdes traditionnels sous une forme ou
une autre, ce recours se maintient même chez les personnes bénéficiant d’une
assurance maladie ;
–
d’après celle
de 1989 menée à l’intérieur du pays, les plantes médicinales étaient jugées
plus efficaces que les médicaments pour la « jaunisse », les
« maux de ventre » et la « fatigue générale ».
–
en 1995, une
troisième étude effectuée dans la région de Dakar sur 665 ménages faisait
ressortir que 49,3% de ceux ayant répondu ont acheté spontanément des plantes
médicinales sur le marché, plantes qu’ils jugeaient efficaces et peu chères, et
que par ailleurs 83% sont favorables à la mise en vente de plantes médicinales
dans les pharmacies.
–
enfin, une
enquête non publiée menée sur 5 marchés de Dakar en 1995 avait répertorié une
liste de 95 plantes vendues, dont les principales parties utilisées de 80
d’entre elles sont les racines, les écorces et les tiges ; ce qui
constitue une réelle menace de disparition de ces plantes.
ENDA
TM, dont l’un des objectifs est de permettre l’accès aux soins du plus grand
nombre, a initié depuis plusieurs années un programme de recherche-action sur
les plantes médicinales dont le choix a été motivé par l’intérêt de leurs
indications en santé publique. Cette recherche est menée conjointement avec le
Groupe de Recherche sur les Plantes Médicinales de l’Université de Dakar. Les
résultats de ces travaux ont abouti à la confection de dossiers techniques
ayant permis le début d’une phase de mise en vente de plantes médicinales
conditionnées avec indications précises, mode d’emploi, posologie et contre
indications.
Par
ailleurs, la preuve scientifique de l’efficacité et de l’innocuité des plantes
qui font l’objet de tant de recours, ainsi que la création de centres de
médecine traditionnelle dans le pays, peuvent être considérées comme une
incitation à l’exploitation d’une flore déjà largement éprouvée. En effet, les
Professeurs Berhaut et Kerharo recensaient respectivement en 1967 dans la Flore
et en 1971 dans la Pharmacopée sénégalaise traditionnelle, des milliers de plantes
poussant au Sénégal. Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de
retrouver certaines de ces espèces.
Pour
illustration, une mission d’identification et d’évaluation du potentiel sur les
trois plantes ayant fait l’objet de production de tisanes, effectuée dans le
pays entre novembre 1996 et février 1997, a révélé une quasi-disparition de
l’une d’entre elles, à savoir Cassia
italica. Par ailleurs, la situation de la biodiversité végétale est très
inquiétante dans la partie nord du pays, parce qu’on y retrouve plus
actuellement que trois à quatre espèces dont la présence abondante prouve une
désertification plus que poussée… Il s’agit essentiellement de Calotropis procera, Boscia senegalensis,
Acacia radiana, Balanites aegyptiaca.
C’est
pourquoi, conformément aux objectifs de la convention sur la biodiversité
biologique, des services et projets nationaux ainsi que des ONGs, ont acquis
une forte expérience dans la conservation in situ et ex situ des ressources
biologiques de plus en plus menacées de dégradation, sous l’effet de divers
facteurs naturels et anthropiques tels que cités plus haut.
2.
LA
CONSERVATION IN SITU
Telle que définie par
l’article 8 de la Convention Internationale sur la Diversité Biologique, la
conservation in situ a pour finalité « la conservation des
écosystèmes et des habitats naturels et le maintient et la reconstitution de
populations viables d’espèces dans leur milieu naturel, et dans le cas des
espèces domestiques et cultivées, dans le milieu où se sont développés leurs
caractères distinctifs ». Avant l’entrée en vigueur de la Convention, le
Sénégal avait adopté une politique de conservation in situ matérialisée par la
création d’un important réseau d’aires protégées comprenant :
–
6 parcs nationaux
–
6 réserves d’avifaune
–
3 réserves de biosphère
–
3 sites du patrimoine mondial
–
93 forêts classées
Il s’y ajoute la
protection intégrale de certaines espèces animales et végétales par les
populations locales dans le cadre traditionnel (interdits religieux ou tabous,
lieux de culte, cimetières, bois sacrés).
3.
LES
METHODES TRADITIONNELLES DE CONSEVATION IN SITU
Depuis les temps
immémoriaux, certaines populations sénégalaises ont appliqué les principes de
la conservation in situ dans leur terroir. En effet, par des principes acceptés
et respectés de tous, certaines espèces animales ou végétales étaient
intégralement protégées, soit isolément soit dans des endroits où seuls les
initiés étaient autorisés à accéder. Parmi ces méthodes traditionnelles de
conservation in situ on peut notamment citer :
–
la protection par les croyances
(totems ou tabous)
–
les cimetières ou lieu de culte
–
les forets sacrées qui sont des
espaces de 0,5 à plusieurs hectares ayant une valeur sacrée pour les
populations parce que représentant des lieux de culte où les défrichements, les
cultures, la coupe de bois et la récolte de produits forestiers sont
formellement interdits. Cette méthode de gestion favorise la libre croissance
de toutes les espèces ainsi que l’expression totale de leur potentielle
génétique.
Ces méthodes de conservation
in situ sont particulièrement vivaces dans les zones rurales. La protection des
espèces et des espaces se matérialise par les principes suivantes :
–
interdiction d’abattage des arbres
–
interdiction du feu
–
jachère permanente
–
interdiction absolue de tuer les
animaux
–
interdiction de récolte de fruits
et autres parties des plantes
–
interdits alimentaires (sur la
base de la religion ou de la tradition)
–
accès interdits pour les non
initiés aux lieux de culte et forêts classées
On peut également
mentionner la protection d’espèces remarquables (généralement des arbres
entourés de mythe) dans pratiquement toutes les grandes agglomérations du
Sénégal.
4.
NECESSAIRE
IMPLICATION DES POPULATIONS LOCALES DANS TOUTE POLITIQUE DE CONSERVATION
La conservation in situ
par le biais des aires protégées notamment a été assurée, jusqu’à une période
récente, sans une réelle implication des populations riveraines de ces aires.
Pire, ces populations ont été exclues de certaines de ces aires au moment de
leur érection en Parcs Nationaux. Cette situation s’est traduite dans plusieurs
cas par le déguerpissement des populations. Cette politique avait porté les
germes de l’hostilité enregistrée entre les gestionnaires des Parcs Nationaux
et les populations locales vivant dans les zones limitrophes de ceux-ci. Cette
tendance a commencé à être inversée avec les recommandations de la Stratégie
Mondiale de la Conservation (UICN, 1980), mais surtout avec celles du Congrès
Mondial sur les Parcs Nationaux tenu à Bali (Indonésie) en 1982. Depuis, les
populations locales riveraines des aires protégées sont étroitement associées à
la gestion des zones périphériques avec des projets de développement durables
basés sur la gestion et l’exploitation des ressources naturelles. En revanche,
la conservation in situ au moyen de pratiques traditionnelles a toujours été
l’affaire des populations locales elles-mêmes. Ces pratiques ont dans certains
cas été formalisées pour renforcer leur application. C’est ainsi que des forêts
sacrées ont été érigées en Parcs Nationaux avec l’accord des populations
concernées.
5.
ENDA
SANTE : ACTIONS, RESULTATS, PERSPECTIVES
D’après l’article 2 de
la Convention sur la Biodiversité, la Conservation ex situ signifie « la
conservation d’éléments constitutifs de la diversité biologique en dehors de
leur milieu naturel ». Elle complète les actions de conservation in situ
surtout lorsque ces dernières ne peuvent plus être pratiquées. Bien que la
conservation ex situ ne puisse en aucune manière se substituer à la
conservation in situ, elle offre l’avantage de permettre la sauvegarde
d’espèces en péril ainsi que la sensibilisation du public sur la valeur et la
signification da la diversité biologique. La conservation ex situ fournit par
ailleurs des éléments pour les recherches scientifiques fondamentales et
appliquées, nécessaires à l’amélioration des techniques de gestion.
Le Sénégal a développé
une riche expérience en la matière par le biais des jardins botaniques, des
parcs zoologiques, des jardins d’essai et des banques de gènes. ENDA consciente
de l’importance de la valorisation des ressources locales dans la résolution
des problèmes quotidiens des populations et, en particulier des problèmes de
santé, a entrepris depuis 1988 un large programme de valorisation des plantes
médicinales et de la médecine traditionnelle. Dans ce cadre, nous avons mis un
accent particulier sur la présentation des espèces médicinales. Pour cela, nous
–
contribuons au développement du
Jardin Expérimental des Plantes Utiles de la Faculté de médecine et de Pharmacie ;
–
effectuons des essais de culture
sur les plantes médicinales ;
–
appuyons la vulgarisation et
l’intégration des résultats de la recherche dans les activités quotidiennes des
populations.
Le JEPU, initialement
aménagé pour être un jardin d’essai avec quelques espèces qui avaient poussé
spontanément : Adansonia digitata,
Crataeva religiosa, Albizzia lebbeck, Annona glauca, Boscia senegalensis,
Leucaena leucocephalla, Gorreria verticillata, et une vingtaine d’espèces
introduites dont : Bauhinia
rufescens, Erythrinasenegalensis, Olea europea, Ficus Carica, Calotropis
procera, Combretum aculeatum, Psidium guajava, Acacia albida, Acacia senegal, est
devenue en 1985 un jardin Expérimental de Plantes Utiles grâce à une importante
subvention de ENDA TM et une mise à sa disposition de deux jardiniers. Ce
jardin sert de lieu d’herborisation pour les étudiants en Pharmacie, Médecine
Dentaire et ceux de l’Ecole Inter Etats des Sciences et Médecine Vétérinaire.
Il couvre une superficie de 1,5 ha avec un sol de nature argilo-sableuse. On y
trouve actuellement près de 400 espèces répertoriées. Le JEPU est
composé :
–
d’un arboretum dont la partie Est
est entretenue et le reste laissé naturellement pour les observations et
herborisations ;
–
d’une case d’exposition ;
–
d’un bâtiment servant de magasin,
de banque de semences et de bureau pour le conservateur ;
–
d’un jardin d’agrément proprement
dit pour l’introduction des espèces, surtout menacées ou rares, avec dans sa
partie Nord un plan d’eau où poussent quelques plantes aquatiques (Lotus sacré,
Nénuphars, Jacinthe d’eau, Laitue d’eau, etc.)
Le JEPU a pour mission
de mener des activités de :
–
multiplication des plantes utiles
et médicinales en particulier ;
–
introduction de toutes les plantes
ouest africaines et leur étiquetage afin que les étudiants, ainsi que toute
autre personne intéressée, puissent les identifier et les reconnaître ;
–
conservation d’un herbier
« in situ » des ressources végétales africaines ;
–
constitution d’un herbier de
référence pour le laboratoire de botanique ;
–
production et vulgarisation des
espèces médicinales utiles dans les opérations nationales de reboisement ;
–
constitution d’une banque de
semence et d’information sur les essais culturaux.
A ce niveau, les essais
culturaux réalisés ont donné plus ou moins de réussite. Ces échecs étant dus à
la proximité du jardin avec la mer, formant un écosystème différent par rapport
au reste du pays. Les résultats ont néanmoins permis certaines observations qui
ont servi à l’élargissement des essais à d’autres sites de la région de Dakar.
Il s’agit d’un terrain de 1.200 m² situé dans la banlieue dakaroise. Les
activités ont essentiellement concerné deux plantes à savoir Euphorbia hirta et Cassia italica. Pour chaque espèce et chaque mois, nous nous sommes
intéressés aux paramètres suivants :
–
pourcentage de germination,
–
nombre de jours du semis à la
levée,
–
nombre de jours du semis à la
plantule,
–
nombre de jours du semis à la
plante adulte,
–
nombre de jours du semis au début
de floraison,
–
nombre de jours du semis au début de
fructification.
Les résultats partiels
de ces essais entamés en avril 1994 ont montré une aptitude de ces plantes à la
culture. Quelques perturbations dans leur développement ont cependant été
constatées en période de pluie et de froid. Forts de ces constats et des
résultats obtenus suite aux diverses expériences, ENDA Santé et le GRPM ont
décidé de freiner la cueillette sauvage en impliquant les populations dans la
culture et la production des plantes médicinales.
Dans ce cadre, nous
avons encadré de jeunes détenus pendant un an dans une prison de Dakar, dans
laquelle l’administration pénitentiaire a bien voulu mettre à notre disposition
un espace à cet effet. De très bons résultats ont été obtenus avec ces
derniers, car leur récolte a permis d’approvisionner une partie de la phase
expérimentale des tisanes. Par la suite, l’un des détenus libérés a réussi sa
réinsertion sociale en exploitant cette activité. Trois groupements sont d’ores
et déjà ciblés en fonction de leur situation géographique et de l’adéquation de
ces sites avec les plantes concernées par le programme. Cette démarche vise à
installer chez les personnes un triple réflexe de :
–
reconnaissance des plantes
médicinales,
–
préservation de la flore, et
–
utilisation de plantes sûres et
efficaces.
6.
BIBLIOGRAPHIE
ENDA, « La
consommation des médicaments à Dakar ; contribution à une politique des
médicaments essentiels ». Dakar, Mars, 1988.
ENDA,
« Prescripteurs et utilisateurs de médicaments et plantes médicinales au
Sénégal », Dakar, Mai 1990.
ENDA Santé,
« Connaissances/comportements des ménages en matière de consommation de
médicaments et approche des circuits thérapeutiques dans la région de
Dakar », Dakar, Juillet, 1995.
FALL I., LO M. :
Aménagement à la Faculté de Médecine et de Pharmacie d’un Jardin
d’Expérimentation des Plantes Utiles (JEPU)
No comments:
Post a Comment