Législation,
Droits Relatifs à la
Propriété Intellectuelle et
Répartition des Bénéfices aux Tradipraticiens en Afrique
par
FAI FOMINYEN NGU EDWARD
YAOUNDE – CAMEROUN
1.
INTRODUCTION
En
Afrique, nul ne peut prétendre ignorer l’herboristerie car quand bien même nous
n’allons pas directement chez l’herboriste, nous avons toujours besoin de lui
pour qu’il donne ses herbes à un chercheur pour les expérimenter et fabriquer
des médicaments que nous acceptons de prendre dans les hôpitaux. Il s’agit là
d’un héritage culturel que nous devons nous efforcer de préserver et cela
jalousement.
La
médecine traditionnelle n’inspire pas confiance à certaines personnes du fait
des procédés de préparation des médicaments, du conditionnement, de la
posologie et de l’utilisation mais en dehors de cela, son efficacité et sa
réussite ont été incontestables dans bien des cas. Des communautés entières ont
uniquement recours à la médecine traditionnelle et ont survécu là où les
infrastructures médicales modernes n’existent pas.
Toutefois,
en dépit de la reconnaissance ci-dessus, ce secteur de la médecine accuse un
retard dans trois aspects liés les uns aux autres : il s’agit de la
législation, des droits relatifs à la propriété intellectuelle et de la
répartition des bénéfices.
2.
LEGISLATION
La
législation en matière de reconnaissance et d’organisation de la pratique de la
médecine traditionnelle en Afrique varie en fonction des pays. Dans certains
pays africains, elle n’existe même pas du tout et la pratique de la médecine
traditionnelle est laissée à elle-même en l’absence de mécanismes régulateurs
et législatifs.
J’ai
créé et dirigé l’Association Nationale des Tradipraticiens de Santé du Cameroun
(NACATRAMEP) pendant près de trente ans. Au Cameroun, il n’y a aucune
législation officielle qui régit la pratique de la médecine traditionnelle.
Celle-ci a été abandonnée à elle-même pendant longtemps. Toutefois, avec la
tenue de conférences et de colloques internationaux, l’administration fait des
efforts pour instaurer les structures requises.
Les
organigrammes des Ministères de la santé de plusieurs pays africains ne
contiennent même pas une Direction de la Médecine Traditionnelle. Là où cette
direction existe, les responsables ne collaborent pas avec les guérisseurs
traditionnels ni les herboristes sur le terrain. Ils préfèrent travailler avec
les chercheurs.
A
cause des raisons susévoquées et du fait que les problèmes économiques, sociaux
et politiques empêchent les gouvernements de s’atteler comme il se doit aux
problèmes de recherche en matière de plantes médicinales et de médecine
traditionnelle, nous avons décidé de créer une ONG dénommée :
Tradipraticiens et personnel médical ensemble contre le SIDA, d’autres maladies
et les traditions préjudiciables au Cameroun (HEPADITH-CAM).
Elle
a pour objectifs :
1.
De renforcer
la collaboration entre les Tradipraticiens et le Personnel médical et essayer
d’éduquer les populations à accepter et à comprendre l’existence du HIV-SIDA et
des MST comme un problème social, surtout dans les communautés rurales.
2.
De fournir des
informations sur les récents développements des approches traditionnelles
vis-à-vis du SIDA et des autres maladies de la communauté de manière à aider
les communautés locales à voir comment les méthodes traditionnelles peuvent
être utiles.
3.
D’encourager
et de participer à la promotion des activités des guérisseurs à travers les
réseaux audiovisuels.
4.
De former les
guérisseurs traditionnels comme Conseilleurs et Educateurs en matière de
HIV/SIDA et MST avec des messages efficaces, susceptibles de constituer une
prévention efficiente à travers les structures locales.
5.
D’encourager
la coopération et la confiance entre les communautés villageoises (guérisseurs
traditionnels) et les chercheurs.
6.
D’inciter les
guérisseurs traditionnels à créer des herbiers et à faire breveter leurs
plantes à l’OAPI.
7.
D’encourager
les membres de la communauté à créer des fonds communautaires pour entreprendre
des programmes de soins de Santé primaires et des relations avec les
guérisseurs traditionnels.
8.
D’encourager
la réalisation des tests cliniques pour évaluer l’efficacité de la médecine
traditionnelle en matière de traitement de la diarrhée chronique et de l’herpès
zoster chez les malades infectés par le HIV.
9.
D’encourager
et de soutenir l’information en matière de prévention des maladies mortelles
telles que la poliomyélite, la varicelle, la rougeole, la tuberculose, le
paludisme et la fièvre typhoïde par le truchement des programmes de bien-être
social.
10. De
fournir un forum de débat ouvert sur la santé et les questions relatives à la
guérison. Il s’agirait de renforcer la communication et la compréhension entre
les tradipraticiens et le personnel médical (c’est-à-dire à travers les
séminaires publics, etc.).
11. D’expliquer
le rôle de la femme (mère) eu égard aux soins de santé primaire et à la
prévention du HIV/SIDA et des MST ainsi que leur importance dans la société.
12. D’éduquer
les communautés à se départir des pratiques traditionnelles préjudiciables
telle que la mutilation sexuelle, l’immunisation par la scarification. Cela se
ferait par des séances de conseil.
Nous
avons organisé deux séminaires de sensibilisation dont un sur les jeunes et les
MST et le SIDA et l’autre sur la recherche en matière de plantes médicinales.
L’objectif du deuxième séminaire villageois était de sensibiliser, d’expliquer
et de créer une atmosphère de confiance entre les chercheurs en médecine
traditionnelle et plantes médicinales et les populations locales.
Afin
de réduire l’écart entre la médecine conventionnelle moderne et les herboristes
traditionnels, notre ONG vient d’être officiellement reconnue, ce qui permet,
comme première mesure, d’entreprendre la sensibilisation des guérisseurs
villageois. Nous comptons par la suite lancer un projet éducatif sur les
Tradipraticiens et la recherche relative aux plantes médicinales
traditionnelles ; ce qui inspirerait la confiance des communautés locales
vis-à-vis des chercheurs parce que la relation n’a pas été toujours honnête.
La
législation relative à la reconnaissance et à l’organisation de la pratique de
la médecine traditionnelle et de la recherche en matière de plantes médicinales
varie en fonction des pays. Il faut nécessairement une législation régissant la
coopération entre divers intervenants à savoir les chercheurs, les herboristes,
les écologistes et les environnementalistes.
Eu
égard à la coopération entre les hôpitaux, les dispensaires et les cases de
santé dans les villages, la prise en charge de l’ONG devrait s’opérer là où il
y a eu désengagement de l’Etat du fait des perturbations sociales, économiques
et politiques et de leurs conséquences effroyables.
Les
Africains croient encore beaucoup aux plantes médicinales traditionnelles. La
recherche en la matière devrait être accélérée et sponsorisée afin de résoudre
le problème de santé dans le monde. Les plantes médicinales traditionnelles ont
montré la preuve de leur efficacité. Des communautés entières sont tributaires
de ces plantes et de leurs composés, surtout dans les localités où il n’y a pas
d’infrastructures sanitaires modernes. Notre ONG se propose de sensibiliser les
populations locales sur la possibilité pour les communautés entières, des
familles et même des individus de faire breveter leurs plantes y compris leurs
médicaments par l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI).
3.
DROITS
RELATIFS A LA PRORIETE INTELLECTUELLE
La législation relative à ces droits
varie en fonction des pays. Qu’est-ce que les droits relatifs à la propriété
intellectuelle ? Il existe trois catégories :
1.
La propriété
industrielle qui concerne les inventions, les marques déposées, les
conceptions, etc.
2.
Les droits
d’auteurs et droits connexes (musique, publications, tableaux, théâtre,
sculptures, etc.)
3.
Les droits
relatifs aux plantes et aux éleveurs.
En Afrique, les structures régissant les
droits de propriété intellectuelle se limitent au secteur industriel et à deux
organisations régionales créées pour couvrir des groupes de pays. Il y a des
dispositions légales assurant la protection des inventions et qui varient en
fonction des pays. Les deux organisations sont l’Organisation Régionale
Africaine de la Propriété Industrielle (African Regional Industrial Property Organisation,
ARIPO) et l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI).
L’ARIPO couvre 12 pays : le
Botswana, le Zimbabwe, la Gambie, la Zambie, le Kenya, l’Ouganda, le Lesotho,
le Swaziland, le Malawi, le Ghana, le Soudan et la Somalie. Son siège est à Harare
au Zimbabwe.
Elle a pour objectifs :
–
la création
des services communs pour le développement des activités liées à la propriété
industrielle ;
–
L’assistance
aux membres pour l’acquisition de la technologie ;
–
L’octroi de
brevets d’Invention ;
–
La protection
des inventions de ses membres.
L’OAPI a 15 pays membres et son siège
est à Yaoundé. Il couvre le Cameroun, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie,
le Togo, le Sénégal, le Niger, le Djibouti, le Gabon, le Tchad, le Congo, la
Côte d’Ivoire et la Guinée. Ses objectifs sont les mêmes que ceux de l’ARIPO.
Elle reçoit les demandes et délivre des
brevets pour les inventions ou les marques déposées. Elle assure la protection
des inventions, des noms commerciaux, des marques déposées de ses membres.
Toutefois, eu égard à la pratique de la médecine traditionnelle et aux plantes
médicinales, les recherches effectuées au siège de l’OAPI à Yaoundé montrent
qu’aucune demande provenant d’une communauté, d’une famille ou d’un guérisseur
ne lui a jamais été adressée aux fins de la délivrance d’un brevet ; cette
situation est due à l’ignorance des personnes concernées.
Quand bien même les tradipraticiens
seraient en possession de l’information adéquate, qui a droit aux bénéfices
relatifs à l’invention ?
4.
REPARTITION
DES BENEFICES
Dans notre structure traditionnelle
africaine, une plante médicinale peut être la propriété d’une communauté
villageoise (par exemple de Bamoum et les Oku du Cameroun sont des spécialistes
dans le traitement des entorses et des fractures et des kubri respectivement)
ou d’un groupe familial ou encore d’un individu. Dans de tels cas qui a droit
aux bénéfices relatifs à l’invention ?
Notre ONG encourage également la
création au niveau local de pharmacopée locale pour les plantes médicinales,
les herbiers, etc. Ceux-ci sont exploités par la communauté ou les groupes
locaux. Dans le cas de plante médicinale faisant l’objet d’un brevet, quelle
sera la répartition des bénéfices ?
Ces individus ou groupes ont également
eu des difficultés avec les chercheurs en plantes médicinales. Ces chercheurs
utilisent leurs connaissances en plantes et ne reconnaissent jamais la source
de la plante d’origine. Peut-être faudrait-il élaborer un texte législatif
obligeant les chercheurs à reconnaître cette source et qu’un pourcentage du
fruit de la commercialisation du produit final soit rétrocédé à la source (les
tradipraticiens). Beaucoup d’herboristes refusent également de divulguer leurs
connaissances et finissent par mourir sans avoir transmis ces informations
importantes. Ce sont là des attitudes qui doivent changer et ce n’est que la
sensibilisation et l’honnêteté des deux parties qui donneront les résultats
escomptés.
Tout ce qui est relevé ci-haut peut
réussir si les gouvernements :
a -
Reconnaissent
l’importance et la place de la médecine traditionnelle en Afrique et
encouragent les activités des ONG ;
b -
Elaborent des
lois pour régir et reconnaître les activités des tradipraticiens et des
chercheurs en médecine traditionnelle ;
c -
Créent des
structures chargées de solutionner les problèmes susévoqués (Ministères,
organismes gouvernementaux) ;
d -
Encouragent
l’interaction entre les différents intervenants (écologistes,
environnementalistes, tradipraticiens).
No comments:
Post a Comment