Conservation
de la Biodiversité et Avenir des Plantes
Médicinales en Afrique
par
N’GUESSAN KOUAKOU EDOUARD
ENSEIGNANT CHERCHEUR
A L’UNIVERSITE DE
COCODY
COTE
D’IVOIRE–ECOLOGIE
1.
INTRODUCTION
La
communication que les organisateurs de cet atelier nous ont demandée de
présenter portent sur la «conservation de la biodiversité et l’avenir des
plantes médicinales en Afrique ».
Nous
voudrions ici remercier le coordonnateur principal de cet atelier pour
l’honneur qu’il nous fait. Nous souhaitons que notre communication soit une
excellente occasion pour partager nos vues sur la problématique de la
conservation de la biodiversité en général et surtout pour discuter de l’avenir
des plantes médicinales en Afrique.
En
effet, l’inventaire, la valorisation, la conservation, l’avenir des plantes
médicinales constituent aujourd’hui une préoccupation majeure pour toutes les
couches sociales des populations africaines et font par conséquent l’objet de
nombreux ateliers, séminaires et forums.
Avant
d’aller plus loin dans notre exposé, il nous semble judicieux de définir le
concept de biodiversité.
2.
CONCEPT
DE LA BIODIVERSITE
La diversité biologique ou biodiversité
est «la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre
autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et
les complexes écologiques dont ils font partie. Cela comprend la diversité au
sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ».
L’écosystème étant défini comme «le
complexe dynamique formé de communautés de plantes, d'animaux et de
micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction
forment une unité fonctionnelle ». (UNEP/CBD/94/1).
Ainsi, la biodiversité se situe à trois
niveaux d’organisation avec :
–
les
écosystèmes, qui peuvent être forestiers, marins, côtiers ou d’eaux douces, etc.
–
les espèces
animales ou végétales, vivant au sein des écosystèmes ;
–
les gènes dont
la variabilité permet de définir la diversité génétique au sein des populations
spécifiques.
Sur le plan historique, nous notons que
c’est progressivement que les nations du monde ont pris conscience de
l’importance de la biodiversité, des menaces auxquelles elle est exposée et de
la nécessité de mettre en place des stratégies volontaristes à long terme pour
protéger cette richesse essentielle.
Avant d’aboutir à la signature à Rio de
la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) quelques dates importantes
peuvent être citées :
–
1971 :
Signature à Ramsar (Iran) de la convention relative aux zones humides
d’importance internationale (RAMSAR).
–
Mise en place
par l'UNESCO du programme "l'Homme et Biosphère" MAB.
–
1972 :
Organisation par les Nations Unies de la Conférence sur l’Environnement à
Stockholm (CNUCED).
–
1973 :
Signature à Washington de la Convention sur le Commerce International des
Espèces de la Faune et de la Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES).
–
1979 :
signature à Bonn de la Convention sur la Conservation des Espèces Migratrices
Appartenant à la Faune Sauvage (CMS).
Les composantes de la biodiversité
(plantes, animaux et micro-organismes) servent à la fois pour la santé, la
construction, l’artisanat, l’alimentation, etc. Par conséquent, les enjeux de
la convention sur la diversité biologique sont de plusieurs ordres :
scientifique, économique, socioculturel et politique.
Ainsi donc, nous retiendrons que la
biodiversité est en fait un concept né de façon progressive avec le temps pour
aboutir à une convention dont les principaux objectifs sont le maintien de la
diversité de toutes les formes vivantes et l’utilisation durable des
constituants de cette diversité.
3.
CONSERVATION
DE LA BIODIVERSITE
3.1
Constat
de la Dégradation
Partout
dans le monde tropical, l’on assiste à une dégradation des écosystèmes
forestiers et à une surexploitation des ressources forestières. Ainsi, selon la
F.A.O., 44% des forêts tropicales humides ont disparu pendant la période de
1940 à 1980 (Lanly, 1982).
Le
déboisement annuel des forêts humides a été estimé à environ 75.000 Km² et à
38.000 Km² pour d’autres types de forêts (les forêts plus sèches, de mousson,
etc.). Si ce rythme de déboisement avait continué, toutes les forêts humides à
l’exception de celles qui sont protégées (réserves, parcs nationaux et forêts
classées) auraient été fortement et sérieusement endommagées ou détruites en 30
ans. Aussi, l’on a noté que 95% des forêts de la Côte Atlantique du Brésil
oriental ont été détruites (Mittermeier, 1982). En Afrique, des exemples de ce
type sont nombreux :
–
En Côte d’Ivoire, l’on est passé
de 15 Millions d’hectares en 1960 à 3 Millions en 1990.
–
A Madagascar, plus de la moitié de
la surface forestière originale abritant les plantes à fleurs dont 80% sont des
espèces endémiques a été fortement déboisée (Plotkin, 1991). Au Nigeria, de
1980 à 1992, 43% de l’ensemble des écosystèmes forestiers ont été endommagés
(FEDA, 1992).
Comme
on le voit, il y a eu une destruction régulière inquiétante des écosystèmes
forestiers tropicaux, des espèces végétales et animales. Cette régression
inquiétante s’explique par la combinaison et la conjugaison de plusieurs
facteurs.
3.2
Les
Facteurs de la Déforestation et de Perte de la Biodiversité
Parmi
les nombreux facteurs qui causent les transformations et la destruction des
écosystèmes forestiers africains, ainsi que la perte de la biodiversité, on
peut retenir trois catégories qui sont : les facteurs naturels, les facteurs
humains et les facteurs économiques.
–
Les facteurs naturels de
destruction des forêts sont : les aléas climatiques et les désastres
écologiques tels que les éboulements de terrain, la sécheresse et l’érosion.
–
Les facteurs humains de loin les
plus nombreux sont :
w la pression démographique,
w l’agriculture et l’élevage,
w l’exploitation forestière anarchique et frauduleuse,
w la pratique des feux de brousse,
w les mauvaises méthodes de prélèvement (écorçage, abattage,
déracinement),
w le braconnage intensif,
w les activités industrielles et minières,
w l’urbanisation anarchique,
w la surexploitation des plantes pour couvrir des besoins divers.
–
Les facteurs économiques sont
relatifs à la paupérisation généralisée. La pauvreté est un autre facteur
important à considérer en rapport avec la conservation et l’utilisation
acceptable des ressources naturelles.
La
conjugaison de l’ensemble de ces facteurs contribue fortement à la diminution
de la biodiversité. Généralement quand l’on parle de conservation de la
biodiversité, l’on met l’accent surtout sur les espèces (souvent certaines
espèces particulièrement emblématiques menacées d’extinction), en particulier
lorsqu’on estime les pertes et qu’on prend des mesures de protection.
Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué, l’espèce n’est qu’un niveau de
diversité. Par conséquent, l’on devra aussi tenir compte de la variété et la
variabilité, à des niveaux supérieurs et inférieurs de l’organisation
biologique, entre écosystèmes ou habitats et à l’intérieur des espèces.
Dans
tous les cas, il n’y a pas de doute que ces différents facteurs menacent ou
éliminent de nombreux écosystèmes, espèces et populations exceptionnelles du
point de vue génétique y compris des ressources génétiques de grande valeur des
forêts tropicales (Centre Mondial de Surveillance, 1992 ; F.A.O., 1990).
En effet, le processus général de dégradation des écosystèmes forestiers
s’accompagne de :
w la réduction de la diversité des espèces
w la raréfaction des éléments nutritifs des plantes
w un changement structurel de la forêt cédant la place à des broussailles
robustes et des prairies
w la simplification des relations entre les essences
w une baisse de la productivité primaire
3.3
Politique
de Gestion et de Conservation de la Biodiversité
Dans
le cadre d’une politique de gestion et de conservation de la biodiversité, l’on
devra se donner les objectifs suivants :
–
Promouvoir une stratégie de
développement durable et gérer de manière rationnelle les ressources
naturelles.
w économiser et mieux valoriser les ressources naturelles ;
w renforcer/promouvoir les pratiques culturales favorables à la
conservation des milieux naturels ;
w concilier investissements, croissance économique et protection de
l’environnement (importance des études d’impacts).
–
Protéger le patrimoine de
biodiversité.
w conserver et enrichir le patrimoine forestier afin de protéger
directement un certain nombre d’espèces et d’écosystèmes ;
w préserver une masse critique d’aires protégées représentatives des
différents écosystèmes dans une optique de conservation globale ;
w développer une stratégie de sauvegarde et de meilleure gestion des
aires protégées (associer les populations riveraines dans la conception et la
mise en œuvre) ;
w développer un système d’exploitation rationnelle et de conservation des
ressources biologiques hors des zones protégées ;
w prendre des mesures fermes contre la pollution marine, l’utilisation
des produits toxiques pour la pêche, l’envahissement des plans d’eau par les
plantes aquatiques ;
w prendre des mesures d’urgence contre les feux de brousse et le braconnage ;
w renforcer les travaux sur la recherche de nouvelles espèces,
l’inventaire des espèces connues et le fonctionnement de leur biotope ;
w mettre en place un système d’information environnemental et de suivi
des ressources biologiques et de leur conservation ;
w renforcer la capacité institutionnelle et renforcer la législation.
4.
L’AVENIR DES PLANTES
MEDICINALES EN AFRIQUE
Les plantes médicinales et la médecine
traditionnelle constituent dans chacun de nos pays un patrimoine scientifique,
économique et socioculturel dont les enjeux et les impacts sont d’une très
grande importance. En effet, plus de 75% des populations africaines utilisent
ces plantes médicinales pour assurer leur couverture sanitaire.
C’est
pourquoi de plus en plus de nombreuses réflexions se développent dans beaucoup
d’instances sur l’avenir et la conservation des plantes médicinales. Nous
rappellerons ici les conclusions de la rencontre francophone de coopération et
de partenariat sur la diversité biologique et la valorisation des ressources génétiques
(Maroc, juin 1995) et du séminaire Ouest africain sur les plantes
médicinales, l’accès aux ressources génétiques et le partage équitable des
bénéfices tirés de l’exploitation des ressources biologiques (Côte d’Ivoire,
19-20 juin 1997).
Ces
rencontres ont recommandé :
Dans le cadre
de la législation, de :
w la
nécessité pour chaque Etat de prendre les dispositions qui s’imposent pour
l’élaboration dans les délais les meilleurs, de textes législatifs et
réglementaires pour l’accès, le partage juste et équitable des bénéfices tirés
de l’exploitation des ressources biologiques ;
w statuer
sur l’exercice de la médecine traditionnelle et l’exploitation de ces
ressources dans le respect de la convention internationale sur la diversité
biologique ;
w établir
et harmoniser des normes de qualité de production de phytomédicaments en vue de
faciliter les résultats de recherche entre les états membres ;
w prévoir
ou renforcer la juridiction nécessaire pour la conservation des plantes
médicinales et leur commercialisation.
w Dans
le cadre de la protection et de la conservation des plantes médicinales :
w évaluation
du statut de vulnérabilité des plantes médicinales d’intérêt actuel ou
potentiel ;
w mise
en évidence des espèces médicinales menacées de disparition ;
w conservation
ex situ en créant ou en renforçant les structures nécessaires (jardins
botaniques, arborera, banques de gènes, herbier de référence) ;
w conservation
du savoir-faire ancestral des tradipraticiens de santé en poursuivant les
enquêtes ethnobotaniques dans les régions non ou sous-explorées, aux fins de
banques de données ;
w sensibilisation
des populations et des tradipraticiens à l’intérêt que revêt la conservation de
ce patrimoine ;
w renforcement
de la collaboration entre médecine traditionnelle et médecine moderne ;
w encouragement
à la recherche scientifique en vue de la consolidation des programmes de
valorisation des plantes médicinales.
Notons
enfin que dans une publication récente, des directives pour la conservation des
plantes médicinales ont été proposées par l’I.U.C.N., l’O.M.S., et le W.W.F.
(1993). Ces directives peuvent être résumées comme suit :
A)
Etude de base
1.
Etudier les
connaissances traditionnelles concernant l’utilisation des plantes pour les
soins sanitaires ;
2.
Identifier les
plantes médicinales, cerner leur distribution et évaluer leur abondance.
B)
Utilisation
3.
Cultiver les
plantes médicinales pour assurer l’approvisionnement, quand cela est
possible ;
4.
Assurer que
toute cueillette de plantes sauvages permet le maintien de la population
végétale ;
5.
Améliorer les
techniques de cueillette, de stockage et de production.
C)
Conservation
6.
Conserver les
populations d’espèces de plantes médicinales dans leurs habitats naturels (in
situ) ;
7.
Conserver des
populations d’espèces de plantes médicinales ex situ.
D)
Communication
et coopération
8.
Gagner le
soutien du public pour la conservation de plantes médicinales par la
communication et la coopération.
Pour
conclure, nous disons que les plantes médicinales étant des ressources
biologiques de choix, elles devraient faire l’objet d’une attention
particulière, surtout de la part des africains, dans le cadre de la mise en
œuvre de la convention sur la diversité biologique, le partage juste et
équitable des bénéfices tirés de l’exploitation de ces ressources.
En
effet, en dehors de l’article 15 sur l’accès aux ressources génétiques, le
partage juste et équitable des bénéfices tirés de l’exploitation de ces
ressources, les actions en faveur de la conservation et de l’utilisation
durable des plantes médicinales donc de l’avenir de ces plantes devraient
également prendre en compte d’autres articles de la convention sur la
biodiversité biologique telle que les articles 8–j ; 10 (alinéa c), 16 (alinéa
3) et 18 (alinéa 4).
La
mise en œuvre de ces différents articles devrait permettre une utilisation
durable des plantes médicinales en Afrique.
5.
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