Conférence
Internationale sur les Plantes Médicinales et la Médecine Traditionnelle
en Afrique
par
Rabodo ANDRIANTSIFERANA
Centre National
d’Application des Recherches Pharmaceutiques (CNARP)
BP 702 – 101
ANTANANARIVO – MADAGASCAR
1.
RESUME
L’économie
malgache se relève, mais les conditions socio-économiques des populations sont
encore déplorables. Faible, la population est caractérisée par sa jeunesse et
une courte espérance de vie. La plupart des maladies tropicales sévissent au
Madagascar, mais l’incidence du SIDA est encore faible.
La richesse de la flore est insuffisamment exploitée par
la médecine traditionnelle. Une vingtaine de plantes médicinales se retrouve
plus ou moins régulièrement sur le marché international. Leur poids économique
est encore faible. La réorganisation des filières en vue de leur pérennisation
s’impose ; elle comprend en particulier la conscientisation des différents
acteurs pour une utilisation durable des ressources.
La médecine traditionnelle joue un rôle important en
santé publique. Le Ministère de la santé, appuyé par l’OMS, entreprend des
actions visant à son intégration rationnelle dans le système de santé officiel.
En matière de recherche, secteur privé et secteur public
rivalisent de dynamisme depuis la décision du pouvoir politique de prendre en
main la recherche en 1975. Cependant, malgré l’assistance de coopération bi ou
multilatérale, la collaboration avec des laboratoires du Nord est encore incontournable.
La production de phytomédicaments est semée
d’embûches : importation des consommables pour les extractions, le
contrôle de qualité, la formulation galénique et le conditionnement. De plus,
les textes réglementant les autorisations de mise sur le marché sont en cours
de remaniement, laissant des dossiers en instance.
Enfin,
la protection des résultats de recherche et le partage juste et équitable des
bénéfices découlant de l’exploitation des ressources génétiques préoccupe le
Madagascar, qui vient d’y consacrer un atelier.
2.
INTRODUCTION
Si la richesse floristique de Madagascar a émerveillé et
attiré dès le début de la colonisation, la médecine traditionnelle a au
contraire suscité la méfiance. Assimilée à la sorcellerie, elle a été interdite
et sévèrement réprimée. Le retour de l’indépendance n’a pas aidé la médecine
traditionnelle à retrouver ses lettres de noblesse, car toute la recherche
était encore concentrée entre les mains des français. Les études
ethnobotaniques se sont pourtant accumulées et la pharmacopée malgache s’est
petit à petit élaborée.
C’est le sursaut scientifique africain d’après
l’indépendance qui a donné un véritable coup de fouet à la recherche sur la
médecine et la pharmacopée traditionnelles africaines et malgache. A
Madagascar, le Prof A. Rakoto RATSIMAMANGA a le premier créé un institut de
recherche privé sur les plantes médicinales. Directeur de recherche au CNRS,
Ambassadeur de Madagascar en France, collaborateur des laboratoires
Laroche-Navarron, il était très bien placé pour bien comprendre la place et
l’enjeu des plantes médicinales et de la médecine traditionnelle dans l’avenir
des pays africains nouvellement indépendants. Car outre l’aspect purement
scientifique, la médecine traditionnelle était aussi l’affirmation de l’identité
culturelle, et avait en plus une importance économique. A cette époque les
plantes médicinales malgaches avaient déjà percé le marché mondial grâce au
MADECASSOL tiré de Centella Asiatica,
fruit des travaux du Prof. A. Rakoto RATSIMAMANGA avec les laboratoires
Laroche-Navarron, et avec les produits anticancéreux de Catharanthus Roseus, mis au point par les laboratoires Eli Lilly
aux USA.
Dans
les années 70, un vent quasi planétaire a soufflé pour réveiller et revigorer
la médecine et la pharmacopée traditionnelles. L’OMS, l’Agence de Coopération
Culturelle et Technique (ACCT), le Conseil Africain et Malgache de
l’Enseignement Supérieur (CAMES), l’ONUDI, entre autres, ont lancé, soutenu ou
recommandé des programmes de recherche et de valorisation des plantes
médicinales et de la médecine traditionnelle.
La débâcle économique après le premier choc pétrolier a
contraint les autorités politiques à accorder plus d’attention à la question.
Face à la détérioration des termes de l’échange entre le Nord et le Sud, les
prix des médicaments occidentaux importés augmentaient de plus en plus, alors
que le pouvoir d’achat des populations du Sud ne cessait de baisser.
Ces
concours de circonstances ont amené certains pays comme le Madagascar à créer
des centres de recherches spécialisés sur les plantes médicinales et la
médecine traditionnelle. Mais au début, la politique et les stratégies étaient
plutôt timides, peu claires. Les recherches étaient cantonnées aux plantes
médicinales, sources potentielles de découverte de médicaments. L’aspect
socioculturel de la médecine traditionnelle était complètement occulté.
Deux
décennies d’expériences avec des tentatives de rectification d’approche ou
d’orientation, des collaborations multi ou bilatérales, nationales et internationales,
n’ont pas encore permis de trouver la voie idéale. Les bouleversements
politiques successifs, en quête de la meilleure stratégie pour un développement
économique et social réel, n’ont pas facilité les tâches des chercheurs.
C’est
dans ce contexte économico-politique, que nous essaieront de présenter les
plantes médicinales et la pharmacopée traditionnelle à Madagascar.
3.
SITUATION
SOCIO-ECONOMIQUE ET SANTE PUBLIQUE A MADAGASCAR
En
1997, une nouvelle équipe politique arrive au pouvoir et trois accords financiers
principaux sont bouclés : FASR (FMI), CAS (BM) et accords avec le Club de
Paris. Le Document Cadre de Politique Economique, qui est la base du programme
appuyé par le FASR et le CAS1 est mis en œuvre en 1997.
L’évolution
des prix montre une bonne performance :
-
la variation
de l’indice des prix à la production ou déflateur du PIB est de 7,4% (objectif
annuel=10,2%)
-
la variation
de l’indice des prix à la consommation est de 6,3% (Déc. 96 – Déc. 97) au lieu
de 8,8% (Déc. 95 – Déc. 96), traduisant un retour vers la stabilité.
Les
dépenses publiques se sont contractées (-3,5%) en 1997. Si les dépenses
courantes ont baissé de 7,7% les dépenses d’investissement n’ont cependant
accusé qu’une modeste progression de 8,3%. Cette évolution modérée des dépenses
publiques a permis de ramener le déficit global à un niveau plus bas :
2,2% du PIB sur base engagements et 2,3% du PIB sur base décaissements. Pour la
troisième année consécutive, le Trésor a pu se désengager vis-à-vis du système
bancaire. Mais le financement intérieur non bancaire a été positif. L’ampleur
de la détérioration des termes de l’échange est moins importante (-6,2%) que
celle de 1996 (-17,5%).
Si
la situation économique et financière a évolué favorablement au cours des deux
dernières années, la situation sociale demeure préoccupante.
Les
données du recensement de 1993 sont:
-
population :
12,2M
-
taux de
croissance annuel moyen : 2,8%
-
densité de
population : 21h/km
-
44% : <
15 ans
-
77% :
zones rurales
-
50,4% :
sexe féminin
-
espérance de
vie : 52 ans
-
analphabètes : 52,8%
-
population
active : 81,5% agriculture
13,4%
services
5,1% industrie
-
indice
synthétique de fécondité :
5,9 (6,1 en 1992)
-
prévalence
contraceptive :
19,4% (16,7% en 1992)
Pour
la santé des enfants :
-
taux de
mortalité infantile : 96‰
-
taux de
mortalité infanto-juvénile : 159‰
-
taux de
couverture vaccinale
(12-23
mois) : 36,2%
La mortalité infantile est due à :
-
maladies
diarrhéiques : 30%
-
malnutrition :
20%
-
paludisme :
10%
-
IRA : 9%
Pour la santé de la mère :
-
47,3% des
accouchements sont assistés par un personnel de santé qualifié
-
40 à 80% des
femmes enceintes souffrent d’anémie.
Parmi les maladies
transmissibles, le paludisme est la première cause de consultation et de décès
parmi les enfants de moins de 5 ans.
Le risque annuel de tuberculose est de
1,5% ; l’incidence annuelle théorique est de 20.000 nouveaux cas.
La prévalence de l’infection au VIH est
encore faible, mais elle s’accroît régulièrement. Dans la population générale,
la séroprévalence est estimée à 0,07% (1995).
La prévalence des maladies sexuellement
transmissibles est très élevée : gonococcie 4,5‰, syphilis 3,5‰.
Endémie pesteuse, lèpre et bilharziose
complètent ce tableau. 3M de personnes vivent dans des zones d’endémie
goitreuse.
Les ressources humaines en santé
comptent :
-
4.500 médecins : .24%
secteur public (49% : milieu rural)
.34%
secteur privé (dans les agglomérations)
.42%
sous-employés ou en chômage
-
Pharmaciens : 220
-
Chirurgiens dentistes : 360
-
Sages-femmes : 1.635
-
Infirmiers :
3.124
-
Aides-sanitaires :
1.282
- Tradipraticiens : >
4.000
4.
LES PLANTES
MEDICINALES A MADAGASCAR
4.1
Les Eléments des Plantes Médicinales
Sur
les 12.000 espèces que compte la flore de Madagascar, environ 2.300 ont été
recensées comme plantes médicinales, soit 18,95%. Elles appartiennent à 808
genres et 196 familles. Le taux d’endémisme est de 39,6% au niveau des espèces
et de 8,5% au niveau des genres. La médecine et la pharmacopée traditionnelles
n’exploitent donc pas suffisamment la richesse et l’originalité de la flore malgache.
Le
regroupement des plantes médicinales par indication thérapeutique permet le
classement suivant :
|
N° d’ordre
|
Indications thérapeutiques
|
%
|
|
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
|
Maladies de l’appareil
digestif
Maladies de l’appareil génital
Maladies du système nerveux
Maladies de la peau
Maladies de l’appareil
respiratoire
Troubles métaboliques
Troubles de l’appareil
urinaire
Anti-inflammatoires
Traumatisme
Paludisme et splénomégalies
Fortifiants
Maladies vénériennes
Toxiques
Parasitoses intestinales
Maladies du foie
Maladies ostéo-articulaires
Maladies cardio-vasculaires
Aphrodisiaques
Insecticides
tumeurs
|
15
11
10
9,6
6,7
5,8
5,3
5,0
5,0
5,0
4,8
3,7
3,7
3,4
3,2
3,2
0,6
0,6
0,6
|
PRINCIPALES ESPECES VEGETALES EXPORTEES POUR USAGE PERSONNEL
|
Noms scientifiques
|
Noms vernaculaires
|
Familles botaniques
|
Mystroxylon
aethiopicum
Aphloïa
theaeformis
Helichrysum
sp.
Centella
asiatica
Clidemia
hirta
Cussonia
bojeri
Lygodium
lanceolatum
Andropogon
citratus
Azolla
pinnata
Mollugo
nudicaulis
Catharanthus
lanceus
Cedrelopsis
grevei
Eucalyptus
globulus
Toddalia
asiatica
Hylocereus
sp.
Pentopetia
androsaemifolia
Pauridiantha
lyallii
Cassytha
filiformis
|
Fanazava
Ravimboafotsy
Rambiazina
Talapetraka
Mazambody
Tsingila
Karakaratoloho
Veromanitra
Ramilamina
Aferontany
Vonenina gasy
Katrafay
Kininimpotsy
Anakatsimba
Fakantsilo
Tandrokosy
Tamirova
Tsihitafototra
|
Célastracées
Flacourtiacées
Composées
Ombeilifères
Mélastomatacées
Araliacées
Schizéacées
Poacées
Salviniacées
Molluginacées
Apocynacées
Méliacées
Myrtacées
Rutacées
Cactacées
Asclépiadacées
Rubiacées
Lauracées
|
4.2
L’Exploitation des Plantes Médicinales
Les
plantes médicinales sont consommées par toutes les couches de la population,
aussi bien rurales qu’urbaines. Elles participent à plusieurs secteurs :
médecine traditionnelle, herboristerie, industrie pharmaceutique. Elles jouent
donc un rôle important au plan socio-économique, aussi bien à l’échelle
micro-économique, que méso ou macro-économique.
L’exploitation des plantes médicinales peut être divisée
en plusieurs filières, selon les relations entre les différents acteurs, les
postes d’activité identifiés étant : la cueillette (ou récolte), la
collecte, le traitement ou transformation, la consommation et l’exportation.
Schéma des différentes filières des plantes
médicinales
Cueillette Collecte Consommation
locale Exportation
|
Paysans
|
|
Paysans
|
|
Consommateurs ruraux et urbains
|
|
Paysans tradipraticiens
|
|
Petits revendeurs au public
|
|
Herboriste
|
|
Consommateurs urbains
|
|
Paysans
|
|
EXPORTATION
|
|
Exploitant usinier
|
|
Collecteurs
|
|
Paysans
|
|
Collecteurs
|
|
Paysans
|
|
Collecteurs salariés
|
|
Exploitant exportateur
|
|
Marchands de plantes médicinales = petits revendeurs
au public
|
|
Tous
consommateurs
|
|
Paysans
|
Les
filières 1 et 2 jouent un rôle important en milieu rural, non seulement au
niveau de la santé, mais aussi au plan socioculturel. Les enquêtes
ethnobotaniques réalisées à leurs niveaux ont montré leur importance en tant
que réservoirs de connaissances traditionnelles. La filière 6, pour le seul
marché de la capitale (Antananarivo) a réalisé un chiffre d’affaires de 32.189
FF en 1994.
Les filières 4 et 5 concernent les marchés d’exportation
des plantes médicinales. En effet, une vingtaine de plantes médicinales
apparaît régulièrement ou sporadiquement sur le marché international. Trois
d’entre elles ont constamment tenu la scène depuis plus de deux
décennies : il s’agit de Catharanthus
roseus, Centella asiatic et Prunus
africana (ou Pygeum africanum).
Les autres sont : Aphloia
theaeformis, Areca madaascariensis, Calophyllum inophyllum, Drosera
ramentaceae, (syn. Drosera
madagascariensis), Eugenia jambolana, Harungana madagascariensis, Hazunta
modesta, Medemia nobilis, Moringa oleifera, Rauwolfia confertiflora,
Siegesbeckia orientalis, Voacanga thouarsii.
Madagascar
exporte en moyenne 600 tonnes de plantes médicinales par an. Jusqu’en 1995, ce
marché rapportait environ 7 millions de FF FOB. Catharanthus roseus représentait 81% de ce marché en quantité et
47% en valeur. Centella asiatica 8,9%
en quantité et 16% en valeur, Prunus
africana, 0,50% en poids et 23% en valeur. L’impact de la transformation
locale du Prunus africana sur la
valeur des produits exportés est flagrant. Il ne cesse d’ailleurs d’augmenter
et avoisine les 50% de la valeur totale des exportations de plantes médicinales
ces dernières années.
4.3
Avenir de l’Exploitation des Plantes Médicinales
Les principaux acteurs qui interviennent dans
l’exploitation des plantes médicinales sont : les paysans (récolteurs
et /ou consommateurs), les collecteurs, les exploitants (usiniers et/ou
exportateurs).
Lorsque les paysans prélèvent des plantes
médicinales dans la nature pour leurs propres besoins, ils menacent rarement la
survie de ces ressources : leur collecte est minime, les tradipraticiens
pratiquent généralement des méthodes qui assurent l’utilisation durable. Il en
est autrement lorsque la cueillette est pratiquée comme activité secondaire,
pour augmenter les revenus familiaux. Le principal souci est alors la rentrée
immédiate et maximale d’argent liquide. Par ailleurs, la recherche de la
commodité, du moindre effort et de la rapidité ne permettent pas de se soucier
de la gestion de la ressource. Les problèmes de conservation sont donc fonction
des types biologiques des ressources et des parties prélevées.
Pour Centella
asiatica : c’est la tige feuillée qui constitue la drogue.
L’IMRA/Soamadina a sensibilisé les cueilleurs au fil des collectes, pour qu’ils
ne coupent que le pétiole au lieu d’arracher la plante entière. Le travail est
plus pénible et le rendement plus faible, mais la régénération de la ressource
est assurée. Comme les gisements sont nombreux à travers l’île, la ressource
est abondante et son utilisation a des chances d’être pérenne.
Pour Drosera
madagascariensis : c’est la plante entière qui est demandée sur le
marché. Rares sont les cueilleurs qui la coupent à la main pour préserver les
rhizomes nécessaires à la régénération. Par ailleurs, la distribution
géographique de cette espèce n’est pas connue. L’importance des gisements
devrait être évaluée pour adopter les méthodes d’intervention et les outils de
gestion adéquats.
Catharanthus roseus : la plante entière est déterrée à l’angady, pour prendre les racines d’une
part, et les feuilles – tiges feuillées d’autre part. La pervenche malgache est
considérée comme une peste par les paysans, car elle envahit spontanément les
champs laissés en jachère. Les peuplements sauvages arrivent largement.
Pour Areca
madagascariensis, Voacanga thouarsii,
Medemia nobilis et Callophyllum
ionophyllum le prélèvement des graines ne constitue pas une menace s’il n’entraîne
pas l’abattage de l’arbre. Mais l’avenir de l’exportation est problématique
lorsque la drogue est constituée par l’écorce.
Pour Rauwolfia
confertiflora, aucune alternative n’existe car il s’agit en plus de
l’écorce de racine ; heureusement, l’exportation est sporadique et
dégressive.
Le cas le plus préoccupant actuellement est celui de Prunus africana. L’importance de ce
produit dans l’industrie pharmaceutique constitue une réelle pression pour
intensifier son exploitation. Plusieurs études menées simultanément en 1994 ont
toutes montrées les menaces qui pèsent sur cette ressource : la
régénération naturelle est aléatoire, le prélèvement de l’écorce est toujours
destructeur, qu’il se fasse par écorçage ou par abattage, or la densité de la
population est faible. Ces constats ont conduit à l’inscription de Prunus africana à l’annexe II de la
CITES en 1995. Par réaction, SODIP, la principale société exploitatrice
(transformation et exportation) a démarré un essai de culture ex situ à
partir de sauvageons, depuis 1997. Les résultats, bien qu’encore médiocres,
sont riches d’enseignements pour la suite des opérations.
Les
collecteurs servent d’intermédiaires entre les paysans – cueilleurs et les
exploitants exportateurs. Le profit est leur principal objectif. Ils ne se
préoccupent donc pas des problèmes de conservation des ressources, et cherchent
même à tirer profit des difficultés matérielles des paysans.
Les exploitants-exportateurs constituent la cheville
ouvrière de la filière. Eux seuls disposent des données relatives au marché
(envergure et volume), fluctuation des prix, identité des clients avec leurs
stratégies et leurs caractéristiques, orientations nouvelles dans la filière ou
le secteur etc.). Par ailleurs, ils sont les mieux informés sur l’environnement
politico-juridique dans lequel ils opèrent. De ce fait, ils devraient être les
premiers responsables de la santé et de la pérennité des filières qu’ils
travaillent. Etant les plus gros bénéficiaires de l’exploitation des ressources
de la biodiversité, ils devraient assurer le professionnalisme à tous les
niveaux de la chaîne et veiller à une répartition équitable des avantages, dans l’esprit de la
convention sur la diversité biologique.
5.
LA MEDECINE TRADITIONNELLE A MADAGASCAR
La médecine traditionnelle a toujours existé à
Madagascar, mais sa réglementation a été désorganisée. Du temps du roi
Andrianampoinimerina en 1800, l’utilisation et la commercialisation des plantes
médicinales étaient déjà réglementées pour protéger la santé et l’individu. Ces
dispositions ont encore été confortées par le code des 305 articles de 1881,
pour ce qui concerne la vente des médicaments et des remèdes. Mais à partir de
1896, les plantes médicinales et les pratiques traditionnelles de soins de
santé ont été sévèrement écartées du système de santé. Elles n’ont été tolérées
qu’après 1960 (indépendance).
Or la médecine traditionnelle fait partie intégrante de
la culture malgache. Ainsi, plus de 4.000 tradipraticiens sont répartis à
travers tout le pays, entretenant des relations constantes et étroites avec la
population, dont 80% recourent à leur savoir-faire. Basé sur les relations avec
les ancêtres, leur art de soigner témoigne de l’unité des malgaches. Utilisant
généralement des plantes médicinales, les tradipraticiens sont très conscients
de l’importance de la biodiversité. Ils constituent de ce fait de précieux
acteurs pour la protection de l’environnement et en particulier pour la
prévention des feux de brousses. Leur contribution à l’exploitation durable de
ces ressources naturelles représente donc un poids économique non négligeable.
Pour toutes ces raisons, il était nécessaire de donner à la médecine
traditionnelle et à ses praticiens la place qu’ils méritent.
5.1
Le Comité Mixte d’Etude
Une
commission mixte d’étude de la réglementation de la médecine et de la
pharmacopée traditionnelle à Madagascar a été créée en 1996. Elle a maintenant
à son actif :
–
le recensement des tradipraticiens
–
l’élaboration du Statut de l’Association Nationale des Tradipraticiens de
Madagascar
–
le projet de Loi portant reconnaissance de l’exercice de la médecine
traditionnelle à Madagascar
5.2
Recensement des Tradipraticiens
Compte
tenu de l’étendue de Madagascar et des difficultés de communication, deux voies
ont été adoptées pour atteindre les tradipraticiens :
–
les syndicats et associations de tradipraticiens ont distribué à leurs
membres le questionnaire élaboré au CNARP.
–
le Service de Médecine et de Pharmacopée traditionnelles du Ministère de la
Santé a élaboré un questionnaire destiné aux responsables de districts de
santé, qui devraient collecter les données relatives aux tradipraticiens.
Les
retours des questionnaires se font attendre dans les deux approches. Même s’ils
sont approchés par leurs pairs, les tradipraticiens hésitent à se faire connaître :
ils redoutent l’administration pour ses répressions éventuelles, pour la
réclamation de patente ou d’impôts. Quant aux médecins responsables de
districts de santé, débordés de travail, peu sensibilisés à la médecine
traditionnelle, ils n’accordent pas une priorité au questionnaire.
Cependant, l’analyse de deux échantillonnages de réponses
a été réalisée sur le questionnaire du CNARP. Un groupe est constitué de
tradipraticiens exerçant majoritairement en milieu citadin, le second comprend
surtout des ruraux. Dans les deux cas, les facteurs qui conduisent à l’exercice
de la médecine traditionnelle sont par ordre d’importance : les
manifestations des ancêtres, l’héritage, la décision personnelle,
l’enseignement ou les dons naturels. Pour le diagnostic, le groupe des citadins
fait appel en priorité aux manifestations des ancêtres et aux cartes ;
alors que pour le second groupe, les manifestations des ancêtres et
l’astrologie interviennent en premier.
Au plan du traitement, les pratiques sont sensiblement les
mêmes, même au niveau des fréquences d’utilisation. Ce sont par ordre
d’importance décroissante : les produits naturels (d’origine végétale,
animale ou minérale), les interventions personnelles (mains, salive, influence
psychologique), les remèdes «ésotériques », les manifestations des
ancêtres (médium…) et l’astrologie. Logique et cohérence se sont dégagées des
relations entre les différents paramètres étudiés : la médecine
traditionnelle et ses pratiques sont en étroite relation avec les conditions
socio-économiques et en outre, ont un fondement fortement culturel.
5.3
Statut de l’Association Nationale des Tradipraticiens de
Madagascar (ANTM)
Un atelier organisé par le
Ministère de la Santé, sous l’égide de l’OMS/Madagascar a réuni des
représentants des tradipraticiens des six provinces de Madagascar en mars 1997.
En trois jours ils ont validé un projet de Statut préparé par une Commission
mixte. L’objectif principal du Statut est la mise en place du système de
sélection des tradipraticiens, en vue de leur intégration dans le système de
santé officiel.
Il est institué un Comité
consultatif communal, composé de quatre tradipraticiens choisis par leurs
pairs, d’un chef traditionnel désigné par ses homologues, du responsable du
Centre de santé de Base et du maire de la commune. Ce Comité est chargé
d’examiner les demandes d’adhésion des tradipraticiens à l’ANTM. Il transmet le
procès verbal de ses propositions, signé de tous les membres, au Chef du
Service de santé de District. Après y avoir apposé ses appréciations, celui-ci
l’achemine au Ministère de la Santé qui saisit le Conseil National.
Le Conseil National est composé
de tradipraticiens représentant les différentes disciplines de la médecine
traditionnelle, de la Commission mixte chargée de la réglementation de la
médecine traditionnelle et de représentants du Ministère de la Santé. Le
Conseil National a pour rôle de concevoir, de coordonner, d’animer, de suivre
et d’évaluer. La qualité de membre de l’ANTM s’acquiert par décision du
Ministère de la Santé sur proposition du Conseil National. Tout membre
régulièrement inscrit doit posséder :
–
une
attestation de tradipraticien délivrée par le Ministère de la Santé ;
–
une
carte d’adhésion, signée par le président de l’ANTM.
Depuis la validation du Statut de
l’ANTM, les tradipraticiens sont invités à s’organiser en associations, pour
faciliter la mise en place et le fonctionnement du mécanisme décrit
précédemment. Les résultats varient en fonction du dynamisme des meneurs.
5.4
Projet
de Loi Portant Reconnaissance de l’Exercice de la Médecine Traditionnelle à
Madagascar
Le
flou juridique qui entoure la médecine et la pharmacopée traditionnelles
constitue un gros handicap pour toutes les études qui se proposent de les
revaloriser. Pour convaincre les tradipraticiens et tous ceux qui recourent à
la médecine traditionnelle de la bonne foi du pouvoir politique, il était
nécessaire de proposer une loi reconnaissant l’existence de la médecine
traditionnelle à Madagascar.
Le projet de textes élaboré par la Commission mixte a
fait l’objet d’un atelier d’examen et de validation en février 1998.
Représentants d’associations et syndicats de tradipraticiens, délégués des
ordres de médecins, pharmaciens, infirmiers et sages-femmes, représentants des
ministères concernés par la recherche, l’enseignement, la sécurité et la
défense nationales ont pu y participer, grâce au soutien financier de l’OMS,
appuyant l’initiative du Ministère de la Santé.
Après corrections finales et mise en conformité juridique
par le Service des contentieux du Ministère de la Santé, le projet de loi
attend maintenant sa présentation au Conseil du Gouvernement. Selon le
Ministère de la Santé, il ne pourra passer qu’après l’adoption de la Politique
Nationale de la Santé et le Code de déontologie des médecins, programmés pour
cette année.
Mais en attendant, la Commission mixte se prépare pour
l’élaboration des textes d’application : Décret portant organisation de
l’exercice de la médecine traditionnelle, et Arrêté fixant les règles de
l’exercice de la médecine traditionnelle.
6.
LES RECHERCHES SUR LES PLANTES MEDICINALES
6.1
Historique
La flore de Madagascar a toujours émerveillé les
naturalistes par sa richesse et par son originalité. Mais son utilisation
empirique a aussi attiré l’attention. Ce sont d’abord les plantes jouant un
rôle socioculturel qui ont éveillé la curiosité : le tanghin (poison
d’épreuve) fourni par les racines de Menabea
venenata. Puis ce fut le tour des plantes réputées efficaces contre les
affections les plus préoccupantes, telles que le paludisme et ses complications,
la lèpre… Ceci se situe à la fin du 19è siècle.
Les informations sur l’utilisation des plantes ont été
ainsi notées petit à petit. Au début du siècle, les recueils de notes sur les
pharmacopées régionales se multiplient. Ils s’intensifient énormément pendant
la seconde guerre mondiale qui a coupé Madagascar de tout échange avec
l’Europe. Contraints de soigner avec les moyens du bord, médecins modernes et
chercheurs ont collaboré pour mieux connaître la pharmacopée et la médecine
traditionnelles malgaches et pour en tirer le meilleur parti. Pendant les
années d’isolement total (1940-1946), des formules issues de la pharmacopée
traditionnelle ont été mises à l’épreuve, parfois complétées ou précisées quant
à la posologie. De ces expériences inestimables, P. Boiteau a établi des fiches
thérapeutiques qu’il a rassemblées dans le «Précis de matière médicale
malgache» édité en 1979.
Après la guerre, l’Institut de Recherche Scientifique de
Madagascar (IRSM) est créé. Son département des plantes médicinales parmi ses
activités, s’est donné pour tâches de recueillir tous les renseignements sur
l’utilisation empirique de la flore dans le domaine thérapeutique. C’est grâce
à ces enquêtes ethnobotaniques poursuivies par l’ORSTOM (Office de la Recherche
Scientifique et Technique Outre-Mer) qu’ont pu être édifiées les Pharmacopées
de Madagascar par Pernet, Meyer, Bost, Debray, Jacquemin, Razafindrambao. Après
1972, le Gouvernement Malgache a pris en main la recherche scientifique à
Madagascar. Tous les instituts de
recherche français sont partis, sauf l’Institut Pasteur.
6.2
Les Principales
Institutions de Recherche
Dès la création de l’O.U.A. en 1963, les scientifiques
africains et malgaches ont éprouvé le besoin de constituer une Commission
Scientifique et Technique de la Recherche. Le Prof. A. Rakoto RATSIMAMANGA qui
en a été l’un des promoteurs-fondateurs, a par la suite créé à Madagascar son
propre institut de recherche sur les plantes médicinales : l’Institut
Malgache de Recherche Appliquées (IMRA). Véritable pionnier par son
approche socio-économique, cet organisme reconnu d’utilité publique, a
maintenant une grande renommée internationale et connaît un remarquable
développement de ses installations.
Créé
plus tard (1976), le Centre National de Recherches Pharmaceutiques (CNARP) a
pour mission de valoriser la médecine et la pharmacopée traditionnelles, en vue
de mettre à la disposition de la population des phytomédicaments de qualité,
mais à des prix abordables. Pendant les premières années de son existence, le
CNRP s’était conformé au schéma préconisé par l’OMS, basé sur ses cinq
départements :
Les recherches commençaient au Département de botanique
et ethnobotanique, par des collectes d’informations auprès des tradipraticiens
et des populations rurales. Les plantes ainsi sélectionnées étaient confiées au
Département de Pharmocodynamie pour vérification de l’activité présumée sur des
tests spécifiques, et pour un test hippocratique. Les résultats positifs
permettaient au Département de Chimie d’entrer dans la chaîne d’investigations.
Guidée par la Pharmocodynamie, les extractions successives visent à isoler les
principes actifs, dont les structures seront déterminées avec l’aide de
laboratoires étrangers disposant de RMN et de spectroscopie de masse. Si l’index
thérapeutique est favorable, les départements de Pharmacie Galénique et
d’Expérimentation Clinique poursuivent les recherches. Si tous les résultats
sont concluants, le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché est
constitué et adressé au Ministère de la Santé.
L’ensemble du processus est très long (minimum 10 ans) et
onéreux. Or les demandes étaient de plus en plus pressantes. Compte tenu de
l’insuffisance en consommables et en équipements performants pour la
purification et la détermination des structures de molécules, il a été décidé
de se contenter d’extraits semi-purifiés pour la fabrication des
phytomédicaments.
Sur une plante médicinale déjà bien connue de la
pharmacopée traditionnelle, les travaux du CNRP consistaient à préciser les indications
thérapeutiques, les contre-indications, la toxicité, les posologies. Une
attention particulière est accordée à l’assurance qualité. Ainsi, pour la
standardisation, les composants chimiques étant identifiés qualitativement, un
constituant spécifique est choisi comme indicateur pour le dosage quantitatif.
Mais même cette voie a réservé bien des surprises : des effets secondaires
insoupçonnés, la non-reproductibilité de l’activité thérapeutique, la présence
des principes actifs pendant une période limitée dans l’année etc. ont retardé
la mise au point des phytomédicaments ou
multiplié les recherches complémentaires. D’où une nouvelle ligne qu’on
pourrait qualifier de «générique ». Il s’agit de plantes médicinales
figurant déjà dans les pharmacopées internationales et qui ne nécessitent plus
que des mises au point de techniques d’extraction et de nouvelles formulations.
Dans tous les cas, la commercialisation des produits est
subordonnée à l’obtention d’une AMM du Ministère de la Santé. Si, conformément
à la législation française, les dossiers de demande d’AMM étaient allégés pour
les plantes médicinales déjà bien connues, depuis 1999, tous les dossiers en
instance sont bloqués en attendant l’élaboration et la publication des
nouvelles réglementations. Le bilan de ces multiples expériences est plutôt
décourageant, et l’objectif de
contribuer substantiellement à l’approvisionnement en médicaments essentiels
n’a pas été atteint.
La nécessité d’une collaboration avec des organismes
étrangers a été vivement ressentie. C’est pourquoi le CNARP a proposé sa
candidature à l’International
Co-operative Biodiversity Group des Etats-Unis, dont les objectifs principaux correspondent aux siens
propres. Depuis septembre 1998, le CNARP fait ainsi partie du Consortium chargé
d’exécuter le projet intitulé «utilisation de la biodiversité à Madagascar et
au Suriname ». Les principes fondamentaux du programme de bioprospection
ICBG qui ont séduit le CNARP sont :
–
la reconnaissance de la valeur des connaissances traditionnelles ;
–
l’effort pour partager effectivement les avantages découlants de
l’utilisation de la biodiversité ;
–
l’attention particulière accordée aux communautés locales ;
–
l’association de la conservation à l’utilisation.
Bien que le projet ne soit qu’au stade de démarrage, les
difficultés à concrétiser les belles idées se font déjà sentir, car les
réalités du terrain sont très complexes. Mais c’est une expérience passionnante
qui réclame ingéniosité, patience, persévérance et foi.
Outre l’IMRA et le CNARP qui sont des instituts
autonomes, différents laboratoires (Pharmacologie, Chimie…) d'établissements
d’enseignement supérieur (Sciences, Médecine, Ecole Normale Supérieure) ou de
centres de recherche (Centre National de Recherche sur l’Environnement),
entreprennent des recherches sur les plantes médicinales et la médecine
traditionnelle.
Par ailleurs, des ONG œuvrant dans des projets de
conservation et de développement intégré (PCDI) sont aussi amenés à traiter des
problèmes de santé en relation avec la médecine traditionnelle et l’utilisation
des ressources naturelles. Ainsi le WWF a réalisé un projet de Clinique
intégrée où les connaissances traditionnelles d’un tradipraticien ont été
utilisées dans un dispensaire par des médecins modernes. Les résultats de cette
expérience ont permis de chercher d’autres méthodes d’approche pour réussir
l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système de santé officiel
(PCDI d’Andringitra-Ivohibe).
Des chercheurs ou étudiants étrangers viennent aussi à
Madagascar dans le cadre d’une bourse pour faire des enquêtes ethnobotaniques
dans des régions bien délimitées géographiquement et culturellement.
7.
PRODUCTION DE PHYTOMEDICAMENTS
Le schéma des filières des plantes médicinales, a montré
que celles-ci peuvent être commercialisées :
–
au marché ouvert, à l’état brut, sous forme de tiges, feuilles, racines,
graines, écorces…
–
après une première transformation, plus ou moins élaborée, en tant que
produits d’herboristerie (broyats, extraits liquides, forme pâteuse…)
Les deux premières catégories ne nécessitent pas
d’autorisation de mise sur le marché pour être commercialisées. Nous ne
parlerons donc que de la troisième catégorie qui relève de la production
pharmaceutique proprement dite et doit obéir aux règles de bonne pratique de
fabrication.
La décision de travailler les plantes médicinales pour
produire des médicaments avait pour objectifs principaux l’économie de devises
et l’obtention de médicaments moins onéreux que leurs homologues importés. Or,
les seuls solvants disponibles localement pour faire les extractions sont l’eau
et l’alcool éthylique. Tous les solvants nécessaires aux études chimiques
doivent être importés, de même que les absorbants et les réactifs. La
préparation d’extraits qualitativement et quantitativement contrôlés,
standardisés, est donc fortement dépendante des importations.
La plupart des excipients entrant dans la formulation
galénique ne sont pas non plus disponibles localement : amidon, base
grasse, conservateur etc. Il en est de même des articles de conditionnement :
flacons, bouchons inviolables, tubes etc. Et compte tenu de la taille minime du
marché, les étiquettes, prospectus et boîtes d’emballage reviennent chers. En
définitive, dans le prix de revient du produit fini, le(s) principe(s) actif(s)
ne représentent qu’une faible proportion par rapport aux excipients et au
conditionnement. Néanmoins, les phytomédicaments produits au CNARP sont vendus
au moins deux fois moins chers que leurs équivalents importés.
8.
DECOUVERTE DE MEDICAMENTS ET DROITS DE PROPRIETE
INTELLECTUELLE
Lorsque le CNARP menait ses enquêtes ethnobotaniques, il
était souvent interpellé par les détenteurs des connaissances traditionnelles,
qui lui demandaient comment ils pourraient être récompensés de leur
collaboration. Ce problème, soulevé à la Conférence Mondiale sur
l’Environnement, à Rio de Janeiro en 1992, par les peuples autochtones répartis
sur les 5 continents, et témoins impuissants du pillage de leur biodiversité, a
trouvé une réponse dans l’article 8j de la Convention sur la Diversité
Biologique. Depuis, la prospection de la biodiversité est désormais fondée sur
les considérations éthiques, humanitaires et écologiques.
La prospection de la biodiversité «consiste à rechercher,
au fins d'utilisation thérapeutique, agricole ou industrielle, des ressources
génétiques dans la diversité de la vie non humaine de la planète » (J.
Rosenthal). L’ethnobotanique est une méthode de bioprospection. Elle se limite
aux éléments de la biodiversité qui sont déjà utilisés traditionnellement par les
populations locales.
Compte tenu du rendement habituel des recherches
pharmaceutiques qui est de l’ordre d’un produit actif pour 10.000 produits
testés, la bioprospection au hasard a la préférence des pays riches. Dans ce
cas, il s’agit de collecter au hasard, dans un écosystème donné, et de tester
les produits ainsi collectées. Le problème de la propriété des connaissances
traditionnelles ne se pose donc plus. Mais pour que les populations locales qui
dépendent étroitement de la biodiversité au sein de laquelle elles vivent
bénéficient des avantages de son exploitation, l’International Co-operative Biodiversity Group (ICBG) a mis au point un programme qui intègre le
développement sanitaire humain à la découverte de médicaments, aux motivations
pour la conservation de la biodiversité et à des modèles d’activité économique
soutenable. Ce programme finance les groupes réunissant des organismes du Nord
(puissants technologiquement) à des organismes du Sud (riches en biodiversité)
qui conviennent d’exécuter ensemble un projet conforme à ses objectifs.
Le CNARP fait partie d’un Consortium qui a bénéficié de
ces fonds en 1998. La Convention qui lie les membres du Consortium explicite
l’aspect technique du projet et les modalités de partage des bénéfices. A ce
propos, l’idée principale est que des bénéfices reviennent aux communautés
locales, aussi bien à court qu’à long terme, même si les données
ethnobotaniques n’ont pas été utilisées.
La deuxième préoccupation est que les laboratoires
pharmaceutiques ou phytosanitaires n’attendent pas la commercialisation de
produits brevetés pour verser des compensations financières aux différents
organismes associés dans le projet. Schématiquement les différents bénéfices se
présentent comme suit :
Avance compensatoire (upfront compensation)
Versée
au commencement du projet, elle est destinée aux populations locales de la
région où se déroulent les activités de bioprospection et au renforcement des
capacités des institutions nationales.
« Milestone »
Comme la recherche puis le développement de nouveaux
médicaments demandent 10 à 20 ans, il est prévu des payements dénommés
«milestones » aux étapes décisives suivants :
–
demande d’autorisation des essais cliniques
–
demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de la FDA
Royalties
Deux particularités méritent d’être soulignées ici :
–
le taux des royalties est plus élevé lorsque le produit breveté provient
d’une connaissance traditionnelle ;
–
il existe une part de royalties destinée spécifiquement au «pays
source ».
Le
problème qui se pose au CNARP est d’identifier les destinataires de ces
bénéfices particuliers. Il compte sur l’Atelier sur le Droit de l’environnement
qui aura lieu fin mai, pour l’aider à trouver des réponses justes. Car le cadre
législatif malgache ne lui est d’aucun secours.
En effet, l’ordonnance de 1989 a bien institué un régime
pour la protection de la propriété industrielle en République Démocratique de
Madagascar. Malheureusement, dans l’article 8, il est stipulé que «sont
irrecevables ou doivent être rejetées les demandes de brevet ou de certificat
d'auteurs d'inventions pour :
–
les variétés végétales ou animales pour des procédés essentiellement
biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux ;
–
les produits pharmaceutiques, vétérinaires, cosmétiques et alimentaires.
Mais par une loi de 1995, Madagascar a ratifié l'accord
instituant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), dit Accord de Marrakech,
qui comporte un volet «Accord sur les Aspects des Droits de Propriété
Intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ».
Partant
de la hiérarchie des normes juridiques, l'accord sur les ADPIC a une valeur
supérieure à celle des lois. Or l’article 27-1 de l'accord sur les ADPIC exige
la protection inhérente aux brevets, sans discrimination quant au domaine
technique de l’invention.
9.
CONCLUSION
Depuis deux ans, la situation économique de Madagascar a
tendance à s’améliorer. Mais d’après les indications socio-économiques, ceci
n’a encore aucune répercussion sur les populations. Les problèmes de santé
publique en particulier sont encore très préoccupants. Plus que dans les années
70, les plantes médicinales et la médecine traditionnelle méritent donc d’être
valorisées. Le quart de siècle qui s’achève a été témoin des multiples efforts
et expériences qui ont été entrepris à Madagascar dans ce domaine. Secteurs
privé aussi bien que public ont rivalisé pour aborder le sujet sur tous les
fronts.
Dans le domaine de la recherche, seul le Centre National
de Recherche Pharmaceutique a largement diffusé ses résultats d’enquêtes
ethnobotaniques par la publication de deux ouvrages. Au niveau des études
pharmacologiques et chimiques, tous les intervenants reconnaissent maintenant
la nécessité de collaborer avec le Nord. Malgré l’équipement des laboratoires
malgaches en matériels performants, les recherches ne peuvent être menées
jusqu’au stade ultime. La maintenance reste un problème permanent de même que
l’approvisionnement en consommables. Dans le domaine de la chimie en
particulier, l’acquisition de technologie de pointe pour la détermination des
structures n’est pas envisageable ni souhaitable, car le rapport
coût/efficacité serait exorbitant.
La hantise de Madagascar, comme tous les pays en
développement riches en biodiversité cependant est d’être victime de
biopiraterie. Or à l’impossibilité de mener jusqu’au bout les découvertes de
médicaments dérivés des ressources naturelles, s’ajoutent encore les
difficultés de protéger les résultats valables et de les développer au plan
international. Parmi les modèles de coopération avec le Nord, c’est le
programme de l’International
Co-operative Biodiversity Group (ICBG) qui nous paraît le plus équitable. La volonté de lier l’utilisation
de la biodiversité à la conservation d’une part, et à l’amélioration effective
des conditions de vie des populations locales d’autre part, y est manifeste. Ce
modèle de coopération tient compte aussi des aléas de la
recherche–développement des médicaments et de la durée incompressible des
travaux. C’est ainsi que des avances compensatoires sont versées dès le
commencement des activités, et que des payements sont prévus à chaque étape
cruciale de la découverte des médicaments. En exécutant ce programme, nous
réalisons qu’il n’est pas facile de mettre en pratique ses idées
maîtresses : l’identification des populations locales bénéficiaires, le
choix des actions de développement durable à appuyer, le mode de répartition de
la part des royalties revenant au pays source dépassent la compétence des seuls
intervenants du programme. Le problème qui se pose pour la première fois à
Madagascar représente un tel enjeu qu’une concertation nationale est prévue.
La voie des plantes médicinales tant parsemée d’embûches,
a orienté certains chercheurs et surtout opérateurs économiques vers les
plantes aromatiques et les huiles essentielles. Plusieurs marques de produits
parapharmaceutiques et cosmétiques se sont développées avec plus ou moins de
bonheur, et attirent surtout une clientèle éprise d’exotisme. La médecine
traditionnelle elle-même a bénéficié de la Convention de la diversité biologique
qui insiste sur la reconnaissance du savoir traditionnel. Les études et
expériences pour sa réglementation et son intégration dans le système de santé
officiel sont en bonne voie.
Enfin, pour ce qui concerne l’exploitation des plantes
médicinales pour le commerce international, les différents acteurs viennent
seulement de prendre conscience des mesures que réclame la pérennisation de
leur activité. En conclusion, l’avenir des plantes médicinales et de la
médecine traditionnelle à Madagascar peut être considéré avec optimisme.
10.
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-
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