L’Expérience
Tchadienne de la
Pharmacopée et de
la Médecine Traditionnelle
Dr Brahim Boy Otchom
Enseignant
Chercheur et Coordinateur
de la Cellule
d’Etude et de Recherche
en Pharmacopée et
Médecine Traditionnelle
Université de
N’Djaména Faculté des Sciences de la Santé BP 1117
Tél. (235) 51.71.44
Fax. (235) 51.53.09
N’Djaména (TCHAD)
1 -
INTRODUCTION
En matière de politique sanitaire, le Gouvernement de la
République du Tchad entend assurer avant l’an 2000 à la majorité de la
population, l’accès aux services de santé de base, à savoir l’eau saine, la
salubrité, les médicaments essentiels et une couverture sanitaire adéquate.
Pour cela, il faut passer de 2,3% du PIB que représentent actuellement les
dépenses publiques consacrées à la santé à 7% la dernière décennie. Réaliser
une telle performance est une véritable gageure et il ne fait aucun doute que
pour exécuter un tel programme, il sera indispensable de maintenir le recours à
l’aide internationale à un niveau relativement élevé. Mais dans la situation difficile
et complexe que traverse le monde, l’aide extérieure nécessaire risquerait de
faire défaut. C’est pourquoi il ne nous reste qu’à prendre davantage conscience
de cette situation et à multiplier nos efforts pour étendre notre connaissance
à la maîtrise et à la diffusion des remèdes typiquement africains. Nous devons
user de notre ingéniosité et de nos capacités propres à libérer notre
créativité pour explorer toutes nos ressources et nos potentialités.
Vu le nombre important des tradipraticiens dans toutes
les régions du Tchad, la capacité réelle de prise en charge
médico-psychosociale de leur communauté, la souplesse dans le paiement des
honoraires de l’autre et dans le souci de connaître, soutenir et organiser le
système traditionnel de santé, le Tchad a créé en 1993 la Cellule d'Etude et de
Recherche en Pharmacopée et Médecine Traditionnelle par un Arrêté ministériel
n° 160/MENCJS/DG/DRST/93.
1.1 LA CELLULE D’ETUDE ET DE RECHERCHE EN PHARMACOPEE ET MEDECINE
TRADITIONNELLE (CERPHAMET)
La CERPHAMET créée au sein de la Faculté des Sciences de
la Santé de l’Université de N’Djaména est une structure de recherche sur les
pratiques traditionnelles de santé.
La CERPHAMET est la structure nationale du « Réseau
Pharmacopée et Médecine Traditionnelle de l’Afrique Centrale ». Elle
travaille en étroite collaboration avec le Ministère de la Santé Publique et
pourrait apporter des solutions aux différentes recommandations de l’OMS, OUA
et CAMES sur la Pharmacopée et Médecine Traditionnelles Africaines. Les missions
de la CERPHAMET sont les suivantes :
-
répertorier, inventorier et exploiter les plantes et les recettes ayant des
vertus thérapeutiques reconnues et approuvées par les tradipraticiens de
santé ;
-
l’étude des plantes médicinales et de tout autre produit ou procédé
diagnostique ou thérapeutique en vue de leur homologation et
vulgarisation ;
-
la mise au point et la fabrication des médicaments à base de plantes
médicinales ;
-
la vente des produits élaborés ;
-
le contrôle phytosanitaire des plantes médicinales ;
-
la formation en pratiques traditionnelles ;
-
l’organisation de l’exercice de la profession des tradipraticiens de santé
et de la collaboration entre la médecine moderne et la médecine
traditionnelle ;
-
la supervision et la coordination des activités de tous les centres de
médecine traditionnelle dans le pays.
1.2
ENREGISTREMENT ET COLLECTE DES RECETTES TRADITIONNELLES
L’enregistrement des thérapeutes traditionnelle (TT) et
la collecte des recettes traditionnelles sont l’un des objectifs prioritaires
de la CERPHAMET, préliminaire à toute action visant l’articulation entre les
deux systèmes de santé, traditionnel et conventionnel. Chaque TT enregistré
reçoit une attestation de membre de la CERPHAMET, une autorisation provisoire
d’exercice pour une durée d’un an renouvelable et en contre partie, il doit
remettre quelques recettes traditionnelles à la CERPHAMET. Ce système permet à
la CERPHAMET d’avoir une gamme très variée de recettes traditionnelles et
quelques essais biologiques et chimiques sont en cours dans les soins de diabète,
des maladies cardio-vasculaires et de maladies diarrhéiques. La CERPHAMET a
enregistré 315 TT dont 60% veulent enseigner leur savoir pour le bien-être de
la communauté. Quelques tradipraticiens ont donné des conférences aux étudiants
de la Faculté des Sciences de la Santé sur leur savoir.
1.3 ORGANISATION DES ASSOCIATIONS
La CERPHAMET a conseillé aux TT la création des
associations et de travailler en association dans les centres de soins
traditionnels. Certaines de ces association sont reconnues au niveau national.
Elles s’occupent du recensement des nouveaux TT et les orientent à la CERPHAMET
pour leur enregistrement, ce qui évite beaucoup de problèmes dans le choix
complexe entre le bon et le mauvais TT (charlatan) car les TT se connaissent
entre eux et ont des critères de choix qui leur sont propres. Avec ces
associations, il est plus facile de travailler et de les intégrer dans la
prévention comme relais à l’information et dans la prise en charge clinique et
psychosociale des cas. Dans le cadre de la lutte contre le Sida, des séminaires
d’information, de formation et de sensibilisation ont été organisés avec les
associations des TT.
1.4
LE ROLE DE LA PHARMACOPEE ET DE LA MEDECINE
TRADITIONNELLE DANS LE SYSTEME DE SANTE PUBLIQUE AU TCHAD
En effet, il n’est plus permis aujourd’hui d’ignorer les
apports considérables de la médecine traditionnelle dans la couverture
sanitaire des collectivités rurales dont le pouvoir d’achat est très faible et
qui ont de grandes distances à parcourir pour arriver aux centres médico-sanitaires.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler des conférences et des colloques
qui au fil de ces années ont réuni de nombreux experts venus de tous les
horizons pour discuter des nouvelles perspectives de cet art qui vient d’une
profonde connaissance des vertus des différentes ressources que la nature met
si généreusement à notre disposition.
En 1995, la CERPHAMET, en collaboration avec le Cercle
International pour la Création (CIPCRE) a mené une enquête sur la pharmacopée
et la médecine traditionnelle. Les résultats ont montré que celle-ci est
fréquentée par une très grande majorité de la population (85%) et joue sur le
plan socio-médical un rôle extrêmement important pour la population. Pour la
population urbaine, il est clair que les gens ne fréquentent pas
systématiquement le guérisseur chaque fois que la maladie survient. La plupart
croient encore aux bienfaits de cette médecine puisqu’ils n’hésitent pas à
aider les proches parents à chercher les meilleurs guérisseurs. Ils jugent à sa
juste valeur les bienfaits de la médecine conventionnelle, mais remarquent
aussi des cas d’insuccès de celle-ci alors que la médecine traditionnelle
parvient à obtenir plusieurs fois des résultats non négligeables.
Au Tchad, il n’y a que 214 médecins pour plus de
6.000.000 d’habitants. Fort de ce constat, l’objectif de santé pour tous à l’an
2000 fixé par l’OMS ne pourrait être atteint qu’en impliquant tous les
partenaires de santé, y compris et surtout les tradipraticiens de santé. La
population tchadienne est essentiellement rurale (78%). Elle se caractérise par
une majorité des femmes (52%). Un peu plus de la moitié des femmes âgées de 18
ans est déjà mères et la moyenne d’enfants par femme est de 6,6. La mauvaise
accessibilité des services de santé, aussi bien géographique, socioculturelle
que financière, ainsi que le niveau élevé d’analphabétisme viennent aggraver
l’état de santé de la population. Les indicateurs suivants le prouvent :
-
27% seulement des ménages utilisent l’eau potable
-
taux de scolarisation ; 30% pour les filles et 52% pour les garçons
-
40% des femmes parcourent plus de 15 km pour accéder à un centre de
santé ;
-
80% des naissances ont lieu à domicile ;
-
11% seulement des enfants nés ont reçu tous les vaccins du Programme Elargi
de Vaccination (PEV) à leur premier anniversaire ;
-
44% des enfants n’ont reçu aucun vaccin ;
-
mortalité maternelle : 827/100.000 naissances vivantes (N.V.)
-
mortalité infantile : 103/1.000 N.V.
-
mortalité juvénile : 102/1.000 N.V.
-
mortalité infanto-juvénile : 194/1.000 N.V.
Afin d’améliorer les pratiques des accoucheuses
traditionnelles (A.T.), une ONG, le Bureau d’Appui Santé Environnement (BASE),
a entrepris une étude qualitative sur les connaissances des pratiques des A.T.
dans 2 régions du Tchad où les femmes préfèrent en général accoucher avec une
A.T. Cette préférence s’explique par des facteurs culturels et par le fait que
les A.T. sont souvent des personnes à qui les femmes font confiance. Le manque
ou la distance des structures publiques ainsi qu’un mauvais accueil reproché au
personnel de santé contribuent également à cette préférence.
2 -
METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
OBJECTIF GENERAL :
.
Identifier les pratiques des A.T. pendant la grossesse, au moment et après
l’accouchement ;
.
Identifier les problèmes de santé autour de la grossesse et
l’accouchement ;
.
Identifier les pratiques bénéfiques, inoffensives et néfastes chez les A.T.
METHODES :
.
L’entrevue individuelle avec les A.T. et ;
.
Les groupes de discussion focalisée avec les mères qui ont accouché avec
une A.T. ;
.
L’observation directe d’un accouchement.
L’étude de littérature sur le sujet a complété ces trois
méthodes.
L’approche de cette étude est inductive puisque aucune
hypothèse n’a été postulée au départ.
3 -
FORMATION
A la suite de cette recherche, un module de formation des
Accoucheuses Traditionnelles a été conçu. Ce module est destiné à la formation
des A.T. ayant l’habitude d’accoucher des femmes dans leur entourage, dans leur
village et qui connaissent, de ce fait, la manière à travers des expériences
directes. Ce module est la première phase d’un processus de formation continue
en spirale. Cette formation commence avec des choses simples, mais
fondamentales, comme l’hygiène. C’est une fois les éléments du premier module
maîtrisés et intégrés dans les pratiques des A.T. que d’autres éléments seront
ajoutés dans des sessions de formation ultérieure.
La formation se base sur ce que les AT ont déjà. Elle
encourage ainsi la manière de faire des AT, tout en l’améliorant et y ajoutant
certains éléments. Cette approche exige de la formatrice la connaissance des
pratiques des AT, ainsi que la connaissance du contexte culturel dans lequel
les pratiques sont intégrées et significatives. Le contenu de ce module ne se
base que sur les pratiques des AT des districts de Bokoro (Chari Baguirmi) et
de Danamadji (Moyen Chari). Avant d’utiliser ce module dans un autre contexte
régional du Tchad, il est indiqué de vérifier si les pratiques et exigences en
formation sont les mêmes que dans ces cas d’étude. Ce module met l’accent sur
la consultation prénatale (CPN) et l’hygiène. Il se présente en trois
parties :
1.
La consultation prénatale (CPN)
2.
L’accouchement
3.
Le suivi de la mère et de l’enfant.
Comme activité complémentaire à la formation des AT, la
sensibilisation de la population, au sein de laquelle les AT travaillent est
prévue, ainsi qu’un travail avec le personnel de santé qui restera en contact
avec les AT après la formation. Au Tchad, ces tentatives
« sectorielles » d’intégrer la Médecine Traditionnelle dans les soins
de santé primaires sont à encourager, mais nous pensons que pour pouvoir mener
la recherche scientifique appliquée aux plantes médicinales et à la médecine
traditionnelle, elles nécessitent une organisation multidisciplinaire intégrée
et coordonnée avec la participation effective des tradipraticiens. La structure
organisationnelle comporterait :
-
une coordination nationale qui serait en même temps l’organisme suprême de
conception et de direction
-
un centre de documentation
-
des services de laboratoires
-
des centres de santé chargés de l’expérimentation chimique
Les moyens de mise en œuvre indispensables à prévoir
comprennent les installations techniques, le personnel et les crédits de
fonctionnement et les universités nationales, en particulier les facultés des
sciences de la santé et des sciences exactes et appliquées peuvent constituer
le cadre normal de ces recherches. Une attention particulière doit être
apportée aux problèmes de la formation du personnel dans le domaine de la
Pharmacopée et de la Médecine Traditionnelle.
Il importer à l’Etat tchadien d’évaluer le coût global de
la recherche appliquée aux plantes médicinales et à la médecine traditionnelle
et de dégager un minimum de crédits de fonctionnement et de demander que les
assistances extérieures bilatérales ou multilatérales portent sur l’équipement
et la formation du personnel : c’est une des conditions nécessaires pour
que la recherche jour réellement un rôle dans la promotion de la médecine
traditionnelle.
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